[RECIT] Croisière low tech en Loire-Atlantique : voyager à voile pour se reconnecter au vivant ?

Pas besoin d’aller loin pour s’évader. Ainsi que l’explique le sociologue Rodolphe Christin, je suis convaincu que « l’un des enjeux du voyage à l’heure actuelle est de reposer les fondations de notre rapport au vivant humain et non humain ». En réduisant les territoires à de simples décors aisément transformables et consommables, le tourisme actuel a renforcé le dualisme nature/culture et la distanciation des êtres humains vis-à-vis du reste du vivant décrits par l’anthropologue Philippe Descola, distanciation qui a contribué à légitimer un système de domination du vivant avec les conséquences actuelles que l’on connait.

Par l’acte de voyager, nous pouvons transformer les désirs et faire évoluer la nature du statut d’objet que l’on consomme au statut de sujet avec qui l’on rentre en relation, en dialogue. Le voyage low tech (lent, parfois inconfortable, nécessitant transpiration et effort, mais toujours porteur de sens), permet de prêter attention, considération en sommes, à ce qui d’habitude nous parait anodin. Ce qui nous semblait détails devient surprise et découverte, et on commence à voir des choses que l’on ne voyait pas avant. Par ailleurs, voyager le plus possible sans moteur nous fait devenir précautionneux, économe, attentif, nous oblige à vivre avec les aléas climatiques, et donc à revenir à nos limites, en contact avec cette humilité nécessaire à la préservation du vivant. Le voyage à voile est une de ces possibilités.

Retour sur Virage, le voilier de la bifurcation écologique

Je m’étais promis un jour de réembarquer sur Virage. Virage, c’est le voilier de M, mon capitaine. Son nom lui vient de l’association Virage-Energie-Climat que M avait contribué à créer en 2009, avec d’autres bénévoles aux compétences techniques et scientifiques, et dont je suis toujours membre même si je n’ai pas le temps de m’impliquer. Cette association a pour objectif de décliner au niveau régional et local des scénarii bas carbone, mais aussi d’adaptation et de bifurcation écologique. A l’instar de négaWatt pour l’énergie ou Solagro pour l’agriculture, le but est de montrer que la transition des principaux secteurs émetteurs de GES est possible et de diffuser les résultats le plus largement possible dans un esprit d’éducation populaire. Elle a notamment produit un scénario de transition énergie – climat 2020-2050 pour notre région des Pays de la Loire.

L’île Dumet, rocher aux oiseaux

Après avoir quitté le petit port intime de Foleux situé sur les rives vertes de la Vilaine, entre la Roche-Bernard et Redon (et à deux pas du parc éolien citoyen de Béganne), M passe me prendre au port de Piriac-sur-Mer que nous quittons vers 18h30. Nous faisons un premier stop sur l’ile Dumet à 7 km au large de Piriac, seule ile maritime du Département de Loire-Atlantique et propriété du Conservatoire du littoral. Nous mouillons pour la nuit dans la anse de Port-Mânes pour s’abriter du vent. Autrefois réputée pour la nidification d’un grand nombre de sternes, nous sommes accueillis par une cacophonie de causeries de goélands, qui ont pris possession de l’ile depuis les années 1970.

Au matin nous gonflons le kayak bi-place et débarquons sur la plage à la force de la pagaie. Nous empruntons le seul sentier autorisé, le reste de l’île étant réservé aux oiseaux : très prisée par la plaisance l’île a connue une forte fréquentation des plages mais aussi un piétinement important. La végétation a souffert de la chaleur, le sol est craquelé et les chardons eux-mêmes n’ont pas résisté à la sécheresse. La présence d’anciens bâtiments militaires (fort rond, fort carré) atteste de sa position géographique stratégique. Située entre les embouchures de la Loire et de la Vilaine, le rocher a longtemps été utilisé pour organiser la défense des côtes et connu des débarquements et des batailles parfois décisifs dans l’Histoire de France.

Arrivée sur le seul sentier autorisé de l’île Dumet
Le fort carré bâti sous Napoléon

La rencontre en mer avec les éoliennes

Le lendemain, nous quittons Dumet vers midi et décidons d’aller rendre visite à l’éolienne expérimentale Floatgen à 22 km au large du Croisic, l’endroit est connu pour la présence de dauphins et nous espérons pouvoir les saluer.

Au passage, nous prenons le temps d’observer à la jumelle la lente progression des 80 éoliennes du parc de Saint-Nazaire (78 km²), dont la 40ème éolienne vient d’être mise en place. Alors que le réchauffement s’accélère et que la filière nucléaire patine (mise à l’arrêt depuis avril de 29 des 56 réacteurs nucléaires), les 480 MW du site (capacité unitaire de 6 MW) permettront d’alimenter en électricité 20% de la Loire-Atlantique via le poste électrique de RTE de Prinquiau. Le milieu physique est adapté : un vent fort et régulier et une faible profondeur, un site à l’écart des principales routes de navigation commerciale, une compatibilité avec les enjeux environnementaux et les usages de pêche. Le quai des énergies marines renouvelables du port de La Turballe, qui vient d’être inauguré et qui accueille la base d’exploitation et de maintenance des éoliennes, a été financé par le Département.

Revenons à notre éolienne flottante : d’une capacité de 2 MW, située au dessus de 33 m de profondeur, elle a longtemps été la seule éolienne en mer en France et reste toujours la seule flottante. Elle a pour objectif de démontrer la faisabilité technique, économique et environnementale d’un système éolien flottant européen en eaux profondes et d’évaluer le coût du mégawattheure.

L’emplacement du parc éolien de Saint-Nazaire au large du Croisic
L’éolienne flottante Floatgen

et la visite des dauphins !

C’est souvent au moment où on ne les attend plus que les rencontres pointent le bout de leur nez. M a l’habitude de distinguer les mouvements à l’œil nu : « regarde au loin, il y a comme des formes qui bougent ». Soudain, nous apercevons des ailerons transperçant la surface de l’eau et disparaissant aussi vite en filets d’écumes, et nous voilà bientôt entouré d’une joyeuse bande de dauphins communs qui jouent dans les remous créés à l’avant du bateau. C’est un moment de communion extraordinaire que de pouvoir être aussi proche de ces animaux marins. Il sera malheureusement interrompu par l’arrivée bruyante et brutale d’un « promène-couillons » (comme aime à les qualifier M), ces navettes motorisées qui viennent déchirer notre méditation collective.

Les dauphins surfent à l’avant du bateau

Plongée et randonnée à Hoëdic

Il est temps pour nous de rejoindre l’île d’Hoëdic. Les conditions météo du lendemain n’étant pas assez sécures, nous revoyons notre plan initial qui était de mouiller dans un crique sauvage et peu fréquentée de Belle-Île. Naviguer, c’est s’adapter, sur l’eau à la voile pas de « maitre et possesseur de la nature » à la Descartes, c’est nous qui composons avec elle, et ça change tout dans notre rapport au monde.

Notre halte ne sera pas gâchée pour autant : la canicule est beaucoup plus facile à vivre à la surface de l’eau, M en profite pour plonger et explorer les récifs avant que nous longions l’île avec le kayak. Le soir nous décidons de prendre une pause dinatoire à la crêperie de l’île dont les secrets se transmettent depuis 5 générations.

Coucher de soleil caniculaire sur l’île d’Hoëdic
Notre kayak gonflable, pratique pour plonger sous les récifs et rejoindre les îles depuis la bateau

Retour vers le continent

Nous sommes réveillés au petit matin vers 5h par un vent qui est passé d’est en ouest favorisant un clapot qui fait tanguer le navire. Les conditions sont étranges : après la canicule d’hier les températures ont chuté de quasi 15 degrés en quelques heures ! Nous voilà contraint d’aller s’abriter de l’autre côté de l’île pour éviter la houle qui se lève.

Nous décidons pourtant de profiter du vent arrière pour rentrer à Terre et attraper l’écluse de 14h, sinon ce sera 20h. Je n’ai pas dormi beaucoup, et j’ai du mal à me concentrer pour barrer le bateau, la houle m’angoisse un peu, à contrario de M, toujours vigilant en dépit du peu de sommeil, c’est à cela qu’on reconnait les marins expérimentés. Nous laissons une ligne à la traine et la mer nous offrira deux beaux maquereaux scintillants que nous mangerons le midi cuits à même l’eau de mer. En 4h seulement le vent nous pousse vers l’entrée de l’estuaire de la Vilaine, où le passage de l’écluse nous attends un peu plus loin avant de rentrer le bateau à Foleux. Retour à la case départ.

6h du matin, la houle se lève et nous pousse vers la terre ferme

Le mode de vie minimaliste du marin permet de renouer avec l’essentiel

La pratique de la voile offre tout un tas de solutions low tech sans pour autant nous faire revenir au stade de la bougie, et doit nous inspirer pour transformer nos mode de vie actuels. La mer nous renseigne à plusieurs titres. Elle ne laisse pas le choix de s’adapter : en mer c’est l’humain qui s’adapte aux conditions météorologiques et non l’inverse. En voilier, chaque espace, chaque ressource, chaque usage est optimisé pour ne rien gâcher. On passe notre temps à déranger puis à ranger, et pourtant la vie n’y est pas monotone pour un sous.

Corinne Morel Darleux a très bien décrit cet esprit dans son bel essai Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce dans lequel elle rapporte l’expérience et la philosophie minimaliste du marin Bernard Moitessier et notamment son « refus de parvenir ». Le projet Nomade des mers qui a contribué par la suite à la création du low tech lab de Lorient est également emblématique : pendant 6 ans d’exploration autour du monde un catamaran a éprouvé les low-tech découvertes au quotidien afin de démontrer leur potentiel ou la nécessité de les optimiser.

En voilier, en train, à vélo, en kayak, à pieds ou à dos d’âne, les possibilités de voyager en limitant son empreinte carbone sont nombreuses. La lenteur mobilise tous nos sens et nous fait prendre conscience de ce qui nous entoure. Lorsque l’on voyage avec son corps, l’on a l’impression de mériter davantage les moments magiques que l’on éprouve. 

Introspection finale

Et puis, et puis, le voyage le plus long est sans doute celui qui mous amène en dedans de nous. Quoi de mieux qu’une bonne déconnexion pour replonger dans ses classiques de psychothérapie ? Partir en mer, dormir lové par le balancement des flots au fond du bateau, c’est un peu comme revenir aux origines, dans le ventre maternel, la matrice archaïque originelle, et si l’on est ouvert à ce qui s’y passe, on pourrait presque revivre ses angoisses et ses excitations de gosse toujours tapies au fond de l’inconscient. Le psychisme humain, comme les fonds marins, restent des zones inexplorées dont nous ne percerons jamais tous les secrets. Là encore il y a humilité. Après 4 jours en mer, je quitte le bateau Virage, avec une pointe d’angoisse mais non sans satisfaction, de me décoller de cette enveloppe.

2 réflexions sur “[RECIT] Croisière low tech en Loire-Atlantique : voyager à voile pour se reconnecter au vivant ?”

  1. Salut Ugo ! Ici G, ami de M 😊 (on se connaît)… Merci pour ce joli récit maritime ! Juste un petit détail : le low tech lab est à Concarneau et pas Lorient. Au plaisir de se revoir sur terre ou sur mer !

    1. Hello l’ami bien en tendu je me souviens très bien ! Tu as tout à fait raison j’ai confondu Lorient et Concarneau (mon Dieu), c’est rectifié. A bientôt en Loire-Atlantique ou Morbihan 😉

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