[MISSION] Les solidarités alimentaires s’inscrivent dans la coopération avec le Bénin

Accès à l’éducation et à la scolarité, sport adapté et handisport, art thérapie, nutrition et alimentation infantile, agriculture agropastorale de proximité… les solidarités sont nombreuses entre les acteurs béninois et le Département de Loire-Atlantique.

Et plus particulièrement la coopération décentralisée avec la commune d’Adjohoun et l’Association Pour la Promotion de l’Excellence (APPE), dans la basse-vallée de l’Ouémé, à 30 km au-dessus de Porto Novo capitale politique du pays. Elle rassemble une population de 89 000 habitant.e.s réparti.e.s dans 8 arrondissements et 66 villages dont plus de 80% est issue du secteur agricole.

Les mots me manquent pour dire combien j’ai reçu des leçons de sourires auprès des populations béninoises qui vivent pourtant dans des conditions matérielles qui peuvent être difficiles, des leçons d’humanité de la part des grands frères et grandes sœurs qui se mobilisent pour leur territoire d’origine aux côtés des associations de Loire-Atlantique. L’Afrique ne rentre pas dans les cases si l’on se limite aux indicateurs de l’économie libérale, mais elle compte infiniment comme réservoir de vitalité et de sagesse.

L’Afrique de l’Ouest c’est surtout la nature luxuriante. Ici encore les mots manquent pour décrire la beauté de la basse-vallée et du fleuve Ouémé, du lac de Nokoué, de la lagune de Porto Novo, réserves de biodiversité classées Ramsar qui s’étendent sur 650 000 ha, et dont le parallèle avec le lac de Grand-lieu, et notre complexe « Erdre-Sèvre-Estuaire de la Loire » est saisissant.

Le Bénin c’est aussi le rapport au monde chamanique et animiste du Vaudou, ou nature et culture coopèrent. 130 ans après leur pillage par les troupes coloniales, la France a récemment restitué ses bijoux culturels au Bénin, notamment les trônes du roi d’Abomey, autrefois exposés au Musée du Quai Branly.


Je remercie Fanny Sallé conseillère départementale en charge des solidarités internationales ainsi que toute l’équipe de la délégation de m’avoir sollicité.

👇 Récit en mots, images, vidéos, d’une mission de coopération en terres des Amazones 👇

L’ancien Dahomey (1851) accède à l’indépendance en 1960 et redeviendra le Bénin en 1975. Peuplé par 11,5 M de personnes, le pays est organisé en 77 communes élues depuis la décentralisation de 2003 et de 12 départements déconcentrés en préfectures. Le Bénin se situe au 167ème rang (sur 188) en termes d’IDH, avec une espérance de vie à 60,7 ans et un taux d’alphabétisation de 51%.

Le climat y est subéquatorial et le pays est tributaire des pluies, réparties en saisons d’inégales durée. Le Sud du Bénin en connaît deux, la grande, de fin avril à juillet, et la petite, d’octobre à décembre. Le Nord du pays connaît une seule saison humide, de juin à octobre, dont une période de fortes précipitations en août.

🌶 Alimentation – Agriculture 🐐🍍

👉 Notre première visite nous amène à Porto-Novo, au célèbre Centre de formation en agroécologie Songhaï[1], dont le grand panneau d’entrée « L’Afrique relève la tête » annonce d’emblée la couleur. Ici « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », nous explique le guide Ghislain « c’est un système intégré », de la production à la commercialisation, en passant par la transformation des produits et la production d’énergie à partir de déchets animaux et végétaux. Par une lecture fine du milieu, chaque flux énergétique qui circule entre les êtres vivants est valorisé. On doit la paternité du centre à l’agronome et père dominicain Godfrey Nzamujo[2] qui a réussi à rendre fertile une zone à l’origine aride, en nourrissant son sol en micro-organismes[3]. Le modèle « produire plus et mieux avec moins » a été dupliqué sur 7 autres sites au Bénin mais aussi ailleurs en Afrique.

L’agriculture joue un rôle important dans l’économie béninoise puisqu’elle représente 32% du PIB et emploie une grande partie de la population active (6,5M / 13M d’habitant.e.s). Le pays comporte une multitude de dépressions naturelles qui présentent des caractéristiques hydrologiques faisant de ces zones des régions à hautes potentialités agricoles (qui forment un ensemble de terres irrigables de plus de 300 000 ha), avec moins de 4% des exploitations agricoles irriguées par l’humain.

Le pays dispose de 2,6Mha de terres cultivables (sur 11,5) et un peu plus de 915 000 exploitations agricoles (moyenne de 3,3 ha par exploitation). On y cultive coton (90% des exportations), ananas, noix de cajou, huile de palme et cultures vivrières (maïs, manioc, sorgho/mil, igname, niébé et arachide).

Le poisson constitue la source de protéines animales la plus importante de la population, mais la production de 40 000t ne suffit pas à satisfaire les besoins de 90 000t et les importations tendent à augmenter. À côté d’une pêche industrielle peu développée (une dizaine de chalutiers), 5 000 marins-pêcheurs artisanaux fournissent 93% de la production maritime totale (le littoral du Bénin s’étend sur 125 km de côtes). C’est la pêche continentale pratiquée sur 130 000 ha (lagunes, lacs, cours d’eau, marais et marécages) par 50 000 pêcheurs qui fournit la plupart de la production nationale (75% dont 90% de pêche lagunaire et 10% de pêche fluviale). Les activités piscicoles sont orientées vers l’élevage de Tilapias et de Clarias en étangs, en enclos, et en cages.

L’élevage, essentiellement situé dans le nord, tout en étant relativement développé, demeure également insuffisant pour faire face aux besoins, d’autant que les importations de produits congelés en provenance de l’Union européenne représentent une très forte concurrence qui déstabilise les écosystèmes locaux.

Le pays est dit autosuffisant en culture vivrières (maïs, arachide, piment…). Pour autant cette production nationale ne suffit pas à couvrir les besoins des quasi 13M d’habitant.e.s et le Bénin reste dépendant des importations extérieures, notamment pour le riz provenant surtout de l’est de l’Asie et les pommes de terres

👉 Après 1h de route, bringuebalés au gré des crevasses de la piste creusées par l’érosion des fortes pluies, nous arrivons enfin au village d’Awonou[4] où se trouve la ferme agro-pastorale ProBea « Bel avenir ». Suite à un don foncier de 6 ha et avec l’aide du Département, l’association Iroko compte participer à la production alimentaire locale tout en utilisant une partie des revenus futurs pour accompagner des projets sociaux. Le modèle recherché est celui d’une ferme diversifiée en polyculture-élevage (haricot, aubergine, tomate, lapins, cochons, pisciculture) mais « nous devons tenir compte du climat local et nous avons dû arrêter les haricots qui ne poussent pas » nous explique le référent Romain. Mangue, amarante, grande morelle, piment, manioc restent les productions les plus adaptées. Les résultats seront suivis en termes d’adaptation aux dérèglements climatiques. C’est une chance pour les populations locales, la ferme se trouvant proche de la rivière, elle dispose d’un petit château d’eau auprès duquel elles peuvent venir s’approvisionner. Dans le ciel la pluie menace déjà, et si nous ne voulons pas qu’elle nous barre la route en contre-bas, il nous faut quitter nos hôtes que nous ne manquons pas de féliciter.

👉 De retour à Adjohoun, nous sommes reçus par les présidentes de deux coopératives regroupant 120 femmes qui transforment artisanalement des produits bruts locaux revendus ensuite sur les marchés ou exportés chez leur voisin Nigérian. Elles nous expliquent que l’aide du Département leurs a permis d’acquérir des machines manuelles pour transformer les noix de palmiers à huile (pour faire de l’huile rouge) et le manioc (pour faire le Gari) qui garantissent leur sécurité économique[5].

Comme en France, le Bénin est lui aussi confronté à des pratiques agricoles de plus en plus utilisatrices d’intrants chimiques, notamment dans l’industrie du coton très présente au nord du pays et très gourmande en engrais, ce qui tue petit à petit la vie des sols, des cours d’eau, et peut générer des maladies auprès des populations. Certains cherchent à former les agriculteurs aux solutions alternatives comme l’agroécologie, notamment les femmes, ou l’utilisation d’intrants organiques naturels.

Si la production d’huile de palme reste encore modérée et localisée dans la région du plateau, le pays exporte vers le Nigéria pour les produits tels que les pâtisseries ou le savon. La filière n’est pas à l’abris de la tournure industrielle catastrophique pour l’environnement prise par la Malaisie et l’Indonésie. Ces deux pays produisent à eux seuls 87% de la production mondiale qui a doublé depuis 15 ans. Toutes les heures dans le monde on plante l’équivalent de 300 terrains de football en palmiers, 1ère cause de déforestation (qui menace notamment l’habitat des orangs outang). A terme le développement de cette industrie pourrait menacer la production vivrière et donc la sécurité alimentaire du pays.

Même si la Chine joue un rôle croissant, le continent européen contribue toujours à la déstabilisation de la sécurité alimentaire des pays africains. La liste est longue des produits agricoles subventionnés par l’Union européenne, puis déversés sur les marchés des pays du sud à prix artificiellement bas. Ce dumping a pour effet de désorganiser les filières et de détruire les paysanneries locales[6], privant ces pays de leur indépendance alimentaire. Ces producteurs sans terres et sans travail fuient alors les campagnes pour s’entasser dans les bidonvilles des grandes villes, les plus jeunes tentant la traversée pour rejoindre l’Europe. En Gambie, c’est le poisson qui est réduit en poudre et exporté pour nourrir les élevages industriels chinois ce qui prive les habitant.e.s de sa principale ressource de protéine et de travail.

Le documentaire Stolen Fish qui revient sur les difficultés des pêcheurs liées à l’implantation chinoise en Gambie

🥣 Santé – Nutrition 👩‍🌾

👉 Un des objectifs de cette mission était de se rendre compte sur place des besoins des populations et particulièrement des enfants sur le plan de la nutrition. Bien que le Bénin ne soit pas enclin à de l’insécurité alimentaire à proprement parler (tout de même 1M de personnes), les données en termes de malnutrition, de poids ou de retard de croissance ne sont pas à négliger. C’est pourquoi les collègues puéricultrices et médecin de la protection maternelle et infantile de l’Espace Départemental des Solidarités de Orvault ont visité des centres de santé et des villages et rencontré le représentant du Programme Alimentaire Mondial. L’objectif par la suite sera d’établir un diagnostic sur l’état nutritionnel et sanitaire des 0-5 ans, afin de construire un plan d’action et répondre à un appel à projet du ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères pour obtenir des financements. Ainsi la formation des professionnel.le.s, et la sensibilisation des parents et de la population via des référent.e.s par village seront des actions à mener, un volet agricole sera également à envisager.

🌴 Patrimoine naturel – Biodiversité 🦎

👉 Depuis Porto-Novo, sur la rive Est du lac Nokoué, il nous faut 1h30 et retraverser tout Cotonou pour rejoindre Akassato[7] de l’autre côté du lac sur la rive Ouest. Ici se trouve un embarcadère qui nous permettra de rejoindre en pirogue la cité lacustre de Ganvié, inaccessible par un autre chemin du fait de la crue des eaux. André, ancien maire de Sô-Ava, chef-lieu des cités lacustres, nous attend et nous invite à embarquer dans la cyber-pirogue. Nous empruntons un long chenal à travers la végétation – épais tapis de jacinthes d’eau[8] – où l’on croisera des pécheurs rieurs jetant leur filet « épervier » devant une armée de téléphones portables. Financée en partie par le Département et l’association Grand-lieu/Nokoué, équipée de panneaux solaires, cette cyber-pirogue permet de voguer de collège en collège pour former les élèves à l’informatique et à internet (il n’y a pas l’électricité dans les villages).

La coopération se fait aussi en matière de faune. Les (rares) troupeaux de vaches croisés témoignent d’une activité agricole et font penser à nos vaches nantaises capables de paitre dans les prés salés. Le lac est une zone d’importance pour la conservation des oiseaux et une étape stratégique dans leur couloir de migration. Nous retrouvons avec plaisir des espèces connues (hérons cendrés, aigrettes…), qui sait, peut-être viennent-elles de Brière, de Guérande ou de Grand-lieu après avoir parcouru des milliers de km pour rejoindre des endroits plus cléments ? Bien sûr le cormoran africain est là, qui fait sécher ses ailes tel un prince béninois. Mais ce qui attire notre attention est un petit oiseau blanc et noir perché sur les tiges des berges : c’est le martin-pêcheur « pie ». Contrairement à notre martin à nous, bleu et orange, ceux-là semblent peu farouches et se laissent dévorer du regard.

Le lac Nokoué mesure 20 km de large sur 11 km de long (13 / 7 km pour Grand lieu) et compte une centaine de milliers d’habitant.e.s. Durant la saison sèche il couvre une superficie de 160 km² qui triple en période de crues. Les pluies gonflent rapidement le débit des rivières, ce qui provoque en aval une élévation de 1,20 m à 1,40 m des eaux du lac, entre juillet et septembre.

Pour l’anecdote, afin de limiter les inondations à Cotonou, l’administration coloniale française décida de percer à la pelle une tranchée de 4 km pour relier le lac d’eau douce au littoral et évacuer plus rapidement le surplus d’eau lacustre. D’à peine 2 m de large cette rigole se transforma vite en un chenal de 400 m, l’eau salée envahissant le lac et modifiant la faune et la flore et stérilisant des zones jusqu’ici cultivées… Bien joué !

La pêche artisanale, capturant de petits lots de poissons, est devenue moins fleurissante au cours des années 90, du fait de l’accroissement du nombre de pêcheurs sur le lac et de la dégradation des conditions climatiques. La pêche avec de petites pirogues à équipage, équipées de cannes, filets et nasses laisse de plus en plus place à des techniques utilisant des parcs à branchage appelée « Acadja ».

L’écosystème du lac, s’il a pu digérer pendant des décennies les activités humaines, est aujourd’hui sous pression du fait de la poussée démographique (pêche, ensablement et envasement, déjections humaines et animales).

👉  Lorsque nous arrivons à la cité lacustre de Ganvié, Venise de l’Afrique inscrite depuis 1996 à l’UNESCO, nous sommes accueillis par les cris des enfants : sans doute se moquent-ils de ces occidentaux qui se sont recouverts d’anti-moustique ? Ce sont les « Toffinou » (Hommes de l’eau), installés depuis le XVII° siècle pour se prémunir des razzias esclavagistes (en langue fon Ganvié vient de Gan = sauvé et de vié = collectivité). Ils vivent dans des cases montées sur pilotis, capables de résister aux intempéries et aux aléas climatiques pendant des décennies. Les panneaux solaires fournissent le peu d’électricité et quelques forages captent l’eau de la nappe souterraine à une centaine de mètres de profondeur. André nous arrête devant la chaine de radio locale qui diffuse ses émissions grâce à des panneaux solaires, eux aussi ont pu bénéficier d’un financement du Département. Juste avant de rentrer, à la tombée de la nuit, j’aperçois une chauve-souris isolée.

👉 A Adjohoun, nous sommes invités par Justin à monter sur la terrasse de sa maison de laquelle nous pouvons admirer la Vallée de Wémè (francisé Ouémé) « deuxième vallée la plus riche au monde après le Nil » d’après nos hôtes. C’est assurément une vallée très fertile, dotée d’un important potentiel agricole (riz, maïs et maraîchage) qui s’élève à plus 70.000 ha, mais moins de 30% de cette superficie est actuellement exploitée.

La basse-vallée et le fleuve Ouémé, le lac de Nokoué, et la lagune de Porto novo forment un complexe de réserves de biodiversité classés Ramsar, auxquels il faut rajouter les marais et la rivière noire d’Adjarra, une zone marine, et un complexe de lagunes que je n’ai pu visiter.

Le Bénin comporte une autre zone Ramsar qui est aussi réserve de Biosphère UNESCO, la réserve de Mono à cheval avec le voisin Togolais, qui comprend la Basse Vallée du Couffo, la Lagune Côtière, le Chenal Aho, et le Lac Ahémé. Ces deux sites englobent tout le littoral du Bénin, formant un complexe de zones humides vaste et important.

Le site comprend divers écosystèmes notamment une forêt marécageuse, des prairies inondées, des roseaux, une végétation flottante et des mangroves[9]. On y trouve plus de 200 espèces de plantes, notamment menacées. La faune très variée comprend : huit primates et en particulier le hocheur à ventre roux ; plus de 80 espèces de poissons ; des mammifères aquatiques comme le lamantin d’Afrique ; 18 espèces de reptiles ; et au moins quatre espèces de tortues, dont la tortue luth qui pond dans le site. L’on a dénombré environ 215 espèces d’oiseaux, beaucoup étant présentes près du lac Nokoué.

🎒 Éducation – Handicap 👨‍🦯

👉 A Adjohoun, nous visitons le centre pour enfants déficients intellectuels Didier Le Bihan présidé par André, ainsi que le centre pour enfants déficients visuels père Paul Rival présidé par Dah, où nous sommes accueillis par les chants de bienvenue des enfants à qui nous remettons du matériel sportif adapté ainsi que des livres en braille. Ces deux centres sont aidés par le Département à travers l’action des associations Amitiés Bénin Sud Loire et Alliance Loire Bénin qui les accompagnent depuis plusieurs années et sans qui rien ne serait possible. Nous sommes d’ailleurs accueilli par Warren, co-président de l’association Alliance Loire bénin, fin connaisseur de la région et de ses enjeux.

Certaines croyances en Afrique de l’Ouest voient le handicap comme le résultat de l’action de mauvais esprits ou de mauvais sorts qui peuvent porter malheur, et les enfants sont parfois abandonnés ou laisser prostrés dans les maisons. D’autres peuvent être également divinisés comme la trisomie 21, avec la volonté de conserver les enfants à l’intérieur à l’abris des regards. Le travail de ces associations est de repérer ces enfants et de les mettre en sécurité. Comme en France, un long travail de sensibilisation auprès des populations est nécessaire pour lever les préjugés et favoriser l’inclusion des enfants dans la collectivité.

👉 Dans notre délégation sont présents deux éducateurs sportifs spécialisés, mandatés par le comité handisport et le comité de sport adapté de Loire-Atlantique. Sur plusieurs journées ils assureront formations et sensibilisations auprès des populations et échangeront leurs pratiques avec les éducateurs béninois. Le Département contribuera par ailleurs à la construction de terrains adaptés pour favoriser la pratique sportive inclusive des enfants des deux centres.

Lors d’une séance de sensibilisation à l’école de Kodé, je suis très impressionné par William, un sportif non-voyant béninois, il s’adresse aux enfants en chantant en langage fon[10], qui l’écoutent sans broncher, comme subjugués par sa grande vitalité. Je suis invité à participer à une partie de Torball[11] dans laquelle on me bande les yeux, je n’ai alors plus que l’ouïe pour me repérer, le ballon étant équipé d’une clochette. L’idée est de mettre la personne « valide » au même niveau que les déficients visuels, mais très vite je comprends que c’est moi qui ne fais pas le poids, face à des jeunes dont l’audition est bien mieux développée que la mienne. 8 à 0 pour le centre Paul Rival et le talent caché de ces enfants éclatent alors au grand jour !

Craquage !
Il n’y a pas que du déchet !

👉  C’est le même accueil chaleureux et vivant qui nous attend lors de l’inauguration du nouveau collège Gountin (3 salles de classes, une bibliothèque et une latrine), le Département ayant financé une partie de sa construction via l’action de l’association locale Alliance pour la promotion de l’excellence (APPE). Danses, chants, et rituels vaudou alternent avec les nombreux discours officiels. Je ne peux m’empêcher d’aller danser avec eux, et de faire rythmer mon corps au contact du sol. Dah, l’ancien prof de sport président du centre Paul Rival, qui est aussi un chef spirituel vaudou, m’explique que seuls les initiés peuvent toucher les esprits dissimulés sous de longues robes colorées, et qui font fuir les enfants. Mince ! Bientôt, deux jeunes volontaires en service civique viendront animer les bibliothèques de ce nouveau collège et du centre père Paul Rival pour des missions de huit mois.

Je joue et je danse avec les enfants et le vaudou

Si le culte animiste a essaimé à Haïti, au Brésil, à la Nouvelle-Orléans ou encore à Saint Domingue du fait du commerce triangulaire, le vaudou serait apparu il y a 4 000 ans au Bénin[12], pays berceau, et notamment dans la région de la ville de Ouidah[13] au sud-ouest du pays. Le vaudou (« ce qu’on ne peut élucider, la puissance efficace ») est pratiqué au quotidien par la plupart des béninois, parfois en plus du christianisme ou de l’islam. Lors des cultes les Egunguns (esprits des ancêtres) dansent au rythme des tambours dans leur habits lumineux, et les Zangbetos (gardien de la nuit) réalisent des performances acrobatiques et mystiques.

La religion, qui sacralise des entités naturelles[14], permet de préserver la biodiversité (forêts, mangroves, lagunes…) de la déforestation, du braconnage[15] et de la surpêche, parfois mieux que les mesures étatiques[16]. Elle aurait même inventé la « compensation » avant l’heure : dans le vaudou, si l’on coupe un arbre pour construire un bâtiment, on doit en planter un nouveau.

👉  Je ne peux terminer ce récit sans évoquer la visite à Porto Novo du Centre d’Art Thérapie de l’ONG Vie et Solidarité que Le CD44 a également soutenu via le projet de graffiti « vies ton rêve ». L’artiste-photographe Louis OKE-AGBO accueille avec son équipe des personnes en situation de handicap psychique ou de déficience intellectuelle et leur donnent le moyen de s’exprimer via la photographie, la peinture, la poterie, la fabrication d’objets en perles, la danse et la musique traditionnelle. J’y ai vu des œuvres vivantes, posant des questions existentielles, dignes d’être exposées dans des musées (et c’est d’ailleurs le cas comme à Lyon par exemple).

Avant de repartir, nous avons juste le temps de rencontrer l’ambassadeur de France au Bénin Marc Vizy pour lui faire un retour sur notre mission. En début de séjour nous avions également pris le temps d’aller à la rencontre de la nouvelle Préfète du Département de Ouémé. Nouer des liens avec les autorités locales est important pour faire avancer le travail de la collectivité. Un dernier passage par le grand marché artisanal de Cotonou, sans oublier le négoce de produits locaux sur le marché (ananas, avocats, noix de cajou…), et je dis au revoir à mes nouveaux ami.e.s

Je remercie très chaleureusement Roger et sa femme ainsi que les membres de l’APPE pour leur accueil très chaleureux

Et pour finir deux extraits glanés dans un des livres de Godfrey Nzamujo (j’aurai aimé pouvoir entendre ces paroles plus jeune) :

« Face à la mort qui se rappelle à nous, soit on s’effondre dans le tragique et on lâche tout, soit on comprend que l’on est fragile, on intègre la fragilité à son expérience, et on en profite pour vivre intensément, découvrir de nouvelles forces et perspectives. On peut alors parler d’une fragilité féconde, tout le contraire de la sidération. Pour cela il ne faut paradoxalement pas inscrire sa vie dans la logique de « l’immortalité biologique », hors de la douleur et du vieillissement, mais tenir compte de ces réalités pour en faire des tremplins de créativité. C’est ici que prend corps la vraie démocratie, où chacun est en capacité de devenir pôle de créativité et d’inventions. Si toutes et tous prenaient conscience qu’elles et ils peuvent devenir acteurs alors on assistera à une régénération du monde (palingenèse ou anabiosis) »

« Mon fils si tu as fait tous tes plans et que tout marche comme tu l’as planifié ; tu n’es pas encore un homme, mais si tu as fait tous tes plans, que rien n’a marché et que tu parviens à rebondir, alors tu es devenu un homme »


[1] En référence à l’empire africain qui s’étendait à son apogée (XVI° siècle) du Sénégal à la boucle du Niger

[2] Voir notamment ses deux livres « Quand l’Afrique relève la tête » et « L’Afrique maintenant »

[3] Notamment via le processus de pédogénèse productrice d’humus, et l’utilisation du bois raméal fragmenté (BRF), une technique de culture agricole et de restauration de sol où, par l’introduction de BRF dans la couche supérieure du sol, ou simplement en paillis, l’on recrée un sol humique, aéré et riche en micro-organismes, tel qu’on en trouve souvent en forêt ancienne.

[4] Un des 8 arrondissements de la commune d’Adjohoun.

[5] L’huile de palme est une huile végétale extraite par pression à chaud des noix du palmier à huile, huile riche équivalent de notre huile d’olive, traditionnellement utilisée pour cuisiner. Le Gari est de la semoule de manioc précuite utilisée dans de nombreux mets en Afrique de l’Ouest.

[6] Par exemple, les importations de poulets congelés de basse qualité (groupe Doux) au Sénégal ont entrainé la faillite de plus de la moitié des élevages locaux. Le lait subventionné exporté a réduit la production de produits laitiers de près de moitié en Afrique.

[7] Arrondissement de la commune d’Abomey-Calavi.

[8] Si ces plantes contribuent à filtrer l’eau, elles deviennent invasives.

[9] Il est important de préserver les mangroves qui ont un rôle primordial face aux dérèglements climatiques dans la préservation de la biodiversité. Son réseau racinaire permet de stabiliser le sol et d’éviter aux habitations d’être emportées par une inondation. Véritables puits de carbone, elles bénéficient également d’une capacité de stockage du CO2 plus importante que celle des forêts. Le palétuvier rouge est une espèce d’arbustes locale et pionnière des mangroves qui, avec ses racines-échasses, joue un rôle important de fixation des littoraux vaseux ou vaso-sableux et permet la création d’habitats pour les poissons et les crustacés.

[10] 56 langues locales sont parlées au Bénin, la langue officielle est le français parlé par 35% de le population principalement en ville.

[11] Le torball est un sport pour personne en situation de handicap visuel. Afin de connaitre le déplacement du ballon, des clochettes se trouvent dedans. Deux équipes de trois joueurs s’affrontent, elles doivent marquer des buts en lançant le ballon au sol et en gardant leur cage en s’allongeant devant.

[12] Voir l’ouvrage « Une histoire de vaudou, l’acte de vivre » de l’essayiste et philosophe franco-béninois, Arnaud Zohou

[13] Ouidah est chargée d’histoire, elle fut l’un des principaux ports négriers du continent africain (voir le mémorial « la porte de non-retour ») en plus d’être la capitale mondiale du Vaudou (voir le « temple des pythons »).

[14] La sacralisation qui place un espace naturel sous protection divine via l’installation d’un fétiche permet d’interdire à quiconque d’y toucher.

[15] Au Bénin, les tortues sont chassées pour leurs écailles utilisées comme produits de beauté, et leurs œufs sont réputés aphrodisiaques, tout comme la viande de lamantin, dont les os sont récupérés pour traiter les rhumatismes.

[16] Par exemple la réserve de la Bouche du Roy (10 000 ha), réseau de mangroves qui se situe entre le lac Ahémé et la façade maritime atlantique.

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